Relisant le livre de Jean-Claude Hauc sur Ange Goudar (Honoré Champion 2004) Je me suis dit que lire « L’espion Chinois » ne pourrait pas nuire à ma culture générale. J’ai donc extrait de ma bibliothèque l’édition de L’espion chinois dans la collection « de mémoire » L’HORIZON CHIMERIQUE.
La première lettre sur la découverte de la religion catholique par ce chinois mal-pensant m’a ravi mais encore plus la lettre VII dont l’actualité rend le texte particulièrement savoureux. Qu’on en juge :
Lorsqu’il veut faire la guerre, il dit à ses généraux : vous rassemblerez deux cent mille hommes, et vous irez vous battre dans telle plaine qu’il leur désigne ; aussitôt les armées marchent. Et vous, peuples, vous me remettrez vos biens, et enverrez à mon trésor tout votre argent, sans même vous réserver celui qui vous est nécessaire pour vivre ; et d’abord ses coffres sont pleins; ses sujets lui donnent tout, jusques aux seuls moyens qui leur restent pour vivre.
Il n'y a pas beaucoup d°imagination, comme tu vois, à cette puissance ; elle dérive de deux ou trois ordres. Le dernier sujet de cette monarchie, qui aurait beaucoup d’ambition et peu d’humanité, pourrait devenir un grand roi. On prétend cependant que cet effort de génie ne vient pas de lui, ses ministres l’aident à former cette grandeur, et en combinent ensemble les moyens ; ils l’imaginent, et se chargent de l’exécution.
On compterait plutôt les grains de sable du vaste océan que le nombre des arrêts publiés depuis un siècle dans cette monarchie. Tu penses bien qu’ils se croisent les uns les autres, et sont contradictoires à eux-mêmes ; car s’ils étaient conséquents il y aurait un système d’unité dans ce gouvernement; et il s’en faut de cent mille contradictions, que cela soit. Un premier arrêt est presque toujours démenti par un second, et celui-ci déclaré nul par un troisième.
De ce désaveu continuel de la volonté souveraine, résulte un contraste qui forme un paradoxe dans ce gouvernement, que je ne saurais t`expliquer, parce qu’il ne s’accorde pas avec le reste des mœurs de la nation. C'est un point d’honneur établi en France dans la société civile, qu`un homme qui ment est regardé comme un imposteur, indigne de cette société dont il est membre, et taxé de bas : or, je ne comprends pas pourquoi le roi de France, qui ment continuellement dans ses décrets, passe pour grand.
A quoi ressemblerait une édition qui me comblerait :
10 ou 12 volumes format 21x29,7 en 2 présentations : reliée et brochée.
Une seule version du texte original de Casanova avec en bas de page les petites notes de langue comme dans la Pléiade.
Chaque volume précédé d’une introduction écrite par un casanoviste actuel : heureusement il en reste de par le monde de très savants…
Pas d’autres textes de Casanova que celui des mémoires mais un maximum de notes sur les personnages, les lieux, les événements marquants de l’époque. Valeur des monnaies traduites en euros, quelques cartes. Le renvoi aux notes organisé pour faciliter le travail du lecteur.
Illustrations aussi nombreuses que possible : cela permet de respirer un peu pendant la lecture et de visualiser « l’atmosphère » du texte.
Les amoureux de Casanova méritent bien cette édition non ?
Avant de poursuivre quelques mots sur l'auteur : François Roustang est né le 23 avril 1923 et mort le 23 novembre 2016. C'est un philosophe français, ancien jésuite et ancien psychanalyste. Il est devenu ensuite hypno thérapeute.
A chaque fois que le me suis plongé dans l’histoire de ma vie je suis passé très vite sur des phrases tordues de Casanova comme celle-ci : « Mon état était si triste que je n’avais pas la force de ne pas vouloir quelque chose » ou bien « Je ne peux vous pardonner qu’oubliant que vous êtes un sage ; et je ne l’oublierai jamais. ». François Roustang, lui, sait s’arrêter sur ces phrases et en tirer des conclusions qui peu à peu éclairent la vraie nature de Casanova. Ce cher Giacomo n'est responsable de rien : seul le hasard des choses lui impose ses choix. Il respecte l'autorité mais n'en tient jamais compte. Pour séduire une femme il lui faut monter un scenario compliqué qui lui permette de satisfaire ses fantasmes : Que ce soit avec Nanette et Marton, dona Lucrezia et Angelica ou CC et MM.Je m'arrête là :
Cette petite note n’a pas pour but de paraphraser ce génial petit livre mais de seulement vous engager à le relire.
Ecrivain, essayiste, chroniqueur, journaliste Philippe Sollers a consacré à Casanova un livre "Casanova l'admirable" où les remarquers pertinentes dessinent de Casanova un portrait sympathique. Des extraits sur ce site : Cliquer pour se connecter
Philippe Sollers
Casanova l'admirable
Une analyse pertinente des ressorts cachés de Casanova. A mon sens Le livre le plus intéressant à lire pour comprendre la psychologie de Casanova.
François Roustang
Le bal masqué de Casanova
Casanova d’un seul bloc
Les « Mémoires », ces « Mille et une nuits » d’Occident, racontent une performance alchimique dont chacun rêve mais que peu atteignent : faire de sa vie un roman
Le Monde des livres du 11 juin 1993 - Philippe Sollers
Enfin! Enfin une édition en un seul volume des Mémoires de Casanova, l`équivalent d’A la recherche du temps perdu, huit millions de signes, et quels signes! Enfin un seul bloc de féerie qui méritait d’être aménagé, soit, mais pas censuré! L’affaire est complexe, mais finalement assez simple. Casanova (mort en 1798) écrivait un français souvent maladroit. Le manuscrit se retrouve en Allemagne, il est d'abord traduit en allemand. Puis, en 1826, publication en «bon français››, mais avec atténuations, voi lages, additions intempestives. Le manuscrit original, lui, attend 1960 (!) pour être connu. D'où, maintenant, nécessité d'adopter un principe unique d'édition : lisibilité de la mise au point grammaticale, et intercalation entre crochets, dans le récit, des points de censure. Voilà qui est fait, et bien fait. Le résultat est proprement fabuleux.
Jean Laforgue, le professeur français qui a «mis en forme›› les Mémoires ou l'Histoire de ma vie, est un excellent exemple de goût scrupuleux et de refoulement laïque. C'est tout le dix-neuvième siècle qui s’exprime à travers lui et qui vient ainsi, fasciné, sérieux, s'allonger avec ferveur sur le divan de Casanova. Laforgue connaît bien sa langue, mais il ne faudrait pas que, en se dévoilant beaucoup grâce à un autre, elle en dise trop. Voici sa première intervention: «Quant aux femmes, j'ai toujours trouvé suave l'odeur de celles que j'ai aimées. ›› Casanova, pourtant, a écrit: «J'ai toujours trouvé que celle que j'aimais sentait bon, et plus sa transpiration était forte, plus elle me semblait suave. ›› Cette répression de la transpiration est tout un programme.
De même, pour la nourriture. Casanova ne cache pas ce qu’il appelle ses «gros goûts» : gibier, rougets, foie d'anguille, crabes, huîtres, fromages décomposés, le tout arrosé de champagne, de bourgogne, de graves. Laforgue préférera le (plus souvent parler de «soupers délicieux». Casanova se décrit-il en mouvement, pieds nus, la nuit, pour ne pas faire de bruit? Laforgue, immédiatement, prend froid, et met à son héros des «pantoufles légères ››.
Nous assistons ainsi, par petites touches, ou parfois par paragraphes entiers, à l’habillage supportable du corps qui hante les imaginations coupables et déprimées depuis la disparition du dix-huitième siècle. Le corps trop cru, trop présent, trop en relief, voilà le danger. L'aventure d’un corps singulier, non collectivisable, ses gestes, ses initiatives, ses postures déclenchent une inquiétude permanente (Baudelaire et Flaubert en ont su quel que chose, sans parler des péripéties souterraines du texte de Sade).
Certes, Laforgue est globalement honnête : il sait qu`il participe à un explosif littéraire (succès garanti), il aime son modèle, il l’admire. Mais il ne peut s’empêcher d'intervenir, et c’est cela qui est pour nous si passionnant. Car Laforgue est un bien-pensant toujours actuel. Le mot «jésuite ››, par exemple, le fait frémir, il en rajoute dans le sarcasme, là où Casanova se contente de l’ironie. Le souvenir de la monarchie est une blessure ouverte. Comment concilier le fait que Casanova est ouvertement hostile à la Terreur, et regrette, après tout, l’Ancien Régime, avec ses aventures subversives qui, donc, devraient aller dans le bon sens, celui de l’histoire?
On laissera passer l’apologie de Louis XV (« Louis XV avait la plus belle tête qu'il soit possible de voir, et il la portait avec autant de grâce que de majesté ››), mais on supprimera la diatribe contre le peuple français qui a massacré sa noblesse, ce peuple qui, comme l'a dit Voltaire, est «le plus abominable de tous» et qui ressemble à un « caméléon qui prend toutes les couleurs et est susceptible de tout ce qu'un chef peut lui faire faire en bon ou en rnauvais››. Les odeurs, la nourriture, les opinions politiques : cela se surveille. Si Casanova écrit « le bas peuple de Paris ››, on lui fera dire « le bon peuple ››.
Mais ce sont évidemment les précisions de désir sexuel qui sont les plus épineuses. A propos d'une femme qui vient de tomber, Laforgue écrit que Casanova «répare d'une main chaste le désordre que la chute avait occasionné à sa toilette››. Qu'en termes galants ces choses-là sont dites. Casanova, lui, est allé «baisser vite ses jupes qui avaient
étalé à ma vue toutes ses merveilles secrètes››. Pas de main chaste, on le voit, mais un prompt regard.
Laforgue «craint le mariage comme le feu››. Est-ce pour ne pas choquer Mme Laforgue qu’il ne reproduit pas la phrase de Casanova : «Je crains le mariage plus que la mort››? Plus abruptement, il ne faut pas montrer deux des principales héroïnes des Mémoires, M. M. et C. C. (les deux amies de l’une des périodes les plus heureuses de la vie de Casanova, dans son casino de Venise), dans une séquence comme celle-ci : «Elles commencèrent leurs travaux avec une fureur pareille à celle de deux tigresses qui paraissaient vouloir se dévorer» En tout cas, pas question d'imprimer ceci : «Nous nous sommes trouvés tous les trois du même sexe dans tous les trios que nous exécutâmes. ›› Après une orgie, il paraît naturel à Laforgue de faire ressentir à Casanova du «dégoût»
Rien de tel.
Un enchantement constant
Si Casanova écrit : «Sûr d'une pleine jouissance à la fin du jour, je me livrai à toute ma gaieté naturelle››, Laforgue corrige : «Sûr d'être heureux... ›› Une femme, pour Laforgue, ne saurait être représentée couchée sur le dos en train de se «manuéliser». Non : elle sera «dans l'acte de se faire illusion ››. Voilà, en effet, comment une main reste chaste. De même, on dira «onanisme›› là où Casanova emploie ce mot merveilleux :« manustupration ». On évitera des notations sur « le féroce viscère qui (…) donne des convulsions à celle-ci, fait devenir folle celle-là, fait devenir l’autre dévote ».
Casanova aime les femmes : il les décrit comme il les aime. Laforgue les respecte : c’est un féministe qui les craint. Pas question non plus que Casanova parle de taches suspectes sur sa culotte; on lui nettoie ça. En revanche, on le dotera, de temps en temps, de formules morales. La correction en arrive parfois au ravissement.
M. M. (« Cette femme religieuse, esprit fort, libertine et joueuse, admirable en tout ce qu’elle faisait››) envoie une
lettre d`amour à son Casanova. Version Laforgue : «Je lance mille baisers qui se perdent dans l’air. ››. Casanova (et c’est tellement plus beau) : «Je baise l'air, croyant que tu y es. ››. D’où vient, cependant, l’enchantement constant à lire, même dans la version Laforgue (même, ou plutôt grâce à, puisque c'est la meilleure version malgré tout), les Mémoires, ces Mille et Une Nuits d’0ccident? C`est qu’il s’agit simplement d'un des plus beaux romans de tous les temps, racontant une performance alchimique dont chacun rêve mais que peu atteignent : faire de sa vie un roman. Si les romans servent à imaginer les vies qu’on n`a pas eues, Casanova, lui, peut affirmer tranquillement : «Ma vie est ma matière, ma matière est ma vie. ›› Et quelle matière!
«En me rappelant les plaisirs que j'ai eus, je les renouvelle, j'en jouis une seconde fois, et je ris des peines que j'ai endurées et que je ne sens plus. Membre de l’univers, je parle à l’air, et je me figure rendre compte de ma gestion, comme un maître d'hôtel le rend a son maître avant de disparaître.›› (Notez que Casanova ne dit pas que le maître doit disparaître.) Il s'est organisé une fête de tous les instants, rien ne l’empêche, rien ne le contraint, ses maladies mêmes et ses fiascos l’intéressent ou l’amusent; et toujours, partout, à l’improviste, des femmes sont là pour rentrer dans son tourbillon magnétique.
Comme par hasard, ce sont souvent des sœurs, des amies, quand cela ne va pas jusqu’à la mère et la fille. «Je n'ai jamais pu concevoir comment un père pouvait aimer tendrement sa charmante fille sans avoir du moins une fois couché avec elle. Cette impuissance de conception m'a toujours convaincu, et me convainc encore avec plus de force aujourd'hui, que mon esprit et ma matière ne font qu'une seule substance. ›› Formidable déclaration d’inceste revendiqué (et d'ailleurs pratiqué et raconté, lors d’une nuit fameuse, à Naples). Il faut insister : «Les incestes, sujets éternels des tragédies grecques, au lieu de me faire pleurer, me font rire. ›› Voilà de quoi troubler ou scandaliser à jamais toutes les sociétés, quelles qu'elles soient.
Les aventures de Casanova, l'aimantation qu`elles dégagent, viennent sans doute de cette «substance» qui les constitue. A cause d'elle, et de la détestation de la mort qu’elle entraîne, les portes s`ouvrent, les ennemis disparaissent, les hasards heureux se multi plient, les évasions de prison sont possibles, les parties de jeu tournent bien, la folie est utilisée et vaincue, la raison (ou du moins une certaine raison supérieure) triomphe. L'histoire « magique» avec la marquise d’Urfé (qui attend de Casanova, super-sorcier, d'être transformée en homme) est une des plus ahurissantes jamais vécues. Charlatan, Casanova? Sans doute, quand il le faut, mais charlatan qui s’avoue, précisant chaque fois la vraie cause des crédulités (comme Freud, au fond, mais en plus comique).
Il rencontre des stars? Pas de problèmes. Voltaire ? On lui récite l'Arioste, on le fait pleurer. Rousseau ? Manque de charme, ne sait pas rire. Frédéric de Prusse? Saute d’un sujet à un autre, n’écoute pas les réponses qu’on lui fait. Catherine de Russie? On voyage avec elle. Le cardinal de Bernis? C'est un ami de débauche, à Venise. Le pape? Il vous donne la même décoration qu'à Mozart, en passant. A propos de pape, la métaphysique de
Casanova a encore de quoi surpren dre. Il commence ainsi ses Mémoires : «La doctrine des stoïciens et de toute autre secte sur la force du destin est une chimère de l'imagination qui tient à l'athéisme. Je suis non seulement monothéiste, mais chrétien fortifié par la philosophie, qui n'a jamais rien gâté. »
La Providence, dit-il encore, l'a toujours exaucé dans ses prières. «Le désespoir tue; la prière le fait disparaître et, quand l'homme a prié, il éprouve de la confiance et il agit» Casanova en train de prier: quel tableau! Étonnante profession de foi, en tout cas, pour l’homme qui jette en même temps à la face de ses semblables cette phrase destinée à être comprise par ceux qui «à force de demeurer dans le feu sont devenus salamandres» : « Rien ne pourra faire que je ne me sois amusé. ››
Casanova est présent. C'est nous qui avons dérivé loin de lui et, de toute évidence, dans une impasse fatale. Un jour, à Paris, il est à l'Opéra, dans une loge voisine de celle de Mme de Pompadour. La bonne société s'amuse de son français approximatif, par exemple qu’il dise ne pas avoir froid chez lui parce que ses fenêtres sont bien «calfoutrées››. Il intrigue, on lui demande d`où il vient : «deVenise››. Madame de Pompadour: «De Venise? Vous venez vraiment de la-bas ?» Casanova: «Venise n'est pas là-bas, Madame, mais là-haut. ›› Cette réflexion insolente frappe les spectateurs. Le soir même, Paris est à lui.
Philippe Sollers
L’édition de 1960, née de l’association de l’éditeur originaire de Casanova, Brockhaus et de l’éditeur français Plon, dite «édition du manuscrit››, sera rééditée en novembre dans la collection « Bouquins ›› (Robert Laffont). Elle reprend la version intégrale et non réécrire du texte de Casanova.
Un texte de Anne-Sophie Lambert (BNF)
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