Lettres du comte Maximilien Lamberg et de Pietro Zaguri, patricien de Venise ç Giacomo Casanova
Edition présentée et notes de Marco Leeflang, Gérard Luciani et Marie-France Luna. Aux éditions Honoré Champion Paris.
Ces lettres de femmes ont été rassemblées par Aldo Rava et celles écrites en italien traduites par Edouars Maynial.
Premier exemple : lettre de Manon Balletti :
Je quitte leur ennuyante mélodie pour vous écrire, Monsieur, et pour décharger mon cœur; il est si plein qu'il n'en peut plus : il faut qu'il déborde. Vos mépris, que j'essuie depuis quelques jours et que je ne mérite en aucune façon, nie remplissent de douleur. Je ne les mérite ni ne les veux souffrir de qui que ce soit au monde, et encore moins de vous qui nie devez (si vous avez un cœur) tout autre sentiment. Expliquez-moi, je vous prie, l'énigme de votre conduite avec moi; elle nie paraît bizarre et même, si j'ose dire, outrageante, de la part d'une personne qui, il y a quinze jours, nie faisait voir et m'assurait la plus fidèle tendresse. Mais enfin, je ne peux guère comprendre comment quelqu'un qui a aimé puisse trouver du plaisir à faire et à voir souffrir quelqu'un pour qui il a eu la plus tendre affection? Car vous vous en apercevez bien que je souffre !
Pourquoi m'accabler d'indifférence? et même plus? Pourquoi?
Que vous ai-je fait? Hélas ! c'est la persuasion où vous êtes que j'ai pour vous tout autre sentiment qui fait que vous me traitez comme vous faites, et c'est ce qui prouve votre ingratitude et votre insensibilité. Oui,tout autre homme que vous, après les marques que je vous ai données de ma confiance et de mon amitié, m'aurait traitée tout différemment, sinon par amour, du moins par reconnaissance. Mais, hélas pourquoi vous fais-je des reproches? Sont-ils de saison? Ah non; en commençant une lettre, je m'étais proposé de ne vous en faire aucun; mais mon cœur saigne et il vous montre ses plaies. Qu'il est faible, ce coeur ! Mais ma raison et votre indifférence sauront lui donner la force.
Je vous demande, Monsieur, pour votre dernière preuve d'amitié, que vous nie rendiez mes lettres, qui doivent avoir très peu de prix pour vous et qui sont pour moi de la dernière importance. A quoi vous seraient-elles bonnes, sinon qu'à vous reprocher un peu de dureté et à vous faire voir combien peu je la mérite? Vous aurez donc la bonté de me les rendre. Il vous sera plus facile alors d'oublier totalement la pauvre et faible créature qui les a écrites. Si vous avez encore quelque ménagement pour moi, vous nie les donnerez dans un moment où nous lie serons pas aperçus; je crois que ce soir après souper sera le montent le plus favorable. J'attends de vous, Monsieur, cette dernière complaisance, et je vous aurai une sincère obligation. Vous me direz ou vous m'écrirez ce que vous prétendez dire à maman pour justifier votre changement, qui ne doit pas manquer de lui paraître étrange. Mais il faut qu'elle le sache, car je sais qu'elle est disposée à parler de vous à Mine de M[onconseil] la première fois qu'elle ira; et il ne serait pas avantageux pour moi d'en parler, vos sentiments n'étant plus les mêmes. Je vous prie vous-même, Monsieur, d'être le juge de cela et de disposer de quelle façon vous vous y prendrez; je vous en laisse absolument le maître. Adieu, Monsieur, il y a assez longtemps que vous vous ennuyez à lire ma triste...
Deuxième exemple : lettre de madame du Rumain :
Ce 23 octobre 1759
Je suis ravie, Monsieur, d'apprendre que la lettre de M. de Choiseuil vous est parvenue, qu'elle a produit l'effet que vous désiriez; je vous avoue qu'elle m'a fait autant de plaisir qu'à vous; c'est un bien sensible de pouvoir obliger quelqu'un qui pense comme vous. S'il ne faut que vous souhaiter du bonheur pour qu'il vous arrive, vous pouvez en attendre un conforme à vos désirs; personne sûrement ne partagera plus que moi votre joie. J'espère que vos travaux auront le succès que vous en attendez; et je vous assure que je serai ravie quand je verrai à Paris votre niche à demeurer; et que vous y serez heureux. Je profiterai alors de votre bonne volonté pour moi. Je vous prie d'être persuadé d'avance de ma reconnaissance et des sentiments avec lesquels j'ai l'honneur d'être, Monsieur,
Votre très humble et très obéissante servante, DU RUMAIN.
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Autre lettre de madame du Rumain :
Paris ce 8 janvier 1760
Les marques de votre souvenir m'ont fait, Monsieur, le plus grand plaisir du monde; je vous avoue qu'il eût été sans nuage si je n'avais pas trouvé dans votre lettre que votre absence est encore prolongée. Je la trouve en vérité bien longue; l'intérêt que je prends à ce qui vous regarde et l'espoir que vos projets auront réussi m'engagent un peu à la supporter patiemment. Je suis infiniment sensible, Monsieur, aux souhaits heureux que vous faites à nia faveur; vous me promettez du bonheur; je suis si accoutumée à croire ce que vous me dites que cette promesse me flatte. Que ne puis-je, en revanche, vous procurer tous les biens que vous méritez ! Vous ne douteriez pas alors de tout celui que je vous désire. Je voudrais bien, Monsieur, que vos affaires vous permissent de reprendre promptement le chemin de cette ville. Je vous attends avec impatience et me fais une fête, je vous assure, et vous réitère les assurances des sentiments avec lesquels j'ai l'honneur d'être, Monsieur, Votre très humble et très obéissante servante,
Du RUMAIN.
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Autre lettre de madame du Rumain qui démontre combien elle l'estime et lui fait confiance :
Ce 8 juin 1760
M. Balletti m'a remis, Monsieur, votre lettre du 21 mai; j'ai été ravie de recevoir de vos nouvelles; elles ne sont pas cependant encore telles que je le désirais. Je vois avec plaisir que vous touchez à la victoire, mais que par les friponneries que vous avez essuyées, vous ne pouvez pas encore revenir ici. Ce dernier article nie fait beaucoup de peine; je sais cependant que vous n'auriez rien à craindre si votre malheureuse affaire de la lettre de change que l'on vous a niée pouvait finir. J'ai ouï votre avocat qui nie paraît avoir beaucoup d'esprit et de connaissance; il m'a assuré qu'il pourrait faire finir cette affaire et l'anéantir même comme lion avenue, s'il avait cent louis. Vous ne pouvez croire, Monsieur, combien j'ai regretté de ne pouvoir lui donner cet argent. Mais il me semble vous avoir ouï dire que vous avez ici bien des débiteurs; ne serait-il pas possible d'en tirer cette somme ou ne pourriez-vous pas la faire passer ici? Cette affaire finie, je suis très persuadée que vous pourriez revenir sans crainte (i). La saisie quel'on a faite de vos papiers, qui a constaté votre innocence, doit, ce me semble, vous rendre tranquille, et d'ailleurs on est toujours plus à portée de la justice présent qu'absent. Le refus que M. d'Affri vous a fait du passeport n'a été fondé que sur des préventions que l'on prend depuis longtemps légèrement sur les personnes qui vont au pays étranger pendant la guerre; niais comme il n'y a pas en la moindre preuve contre vous et que vous avez été persécuté assez longtemps pour que l'on ne vous eût pas laissé libre si la rumeur publique que l'on a faite n'eût pas été à votre avantage, je crois que si vous n'aviez que cette crainte, elle serait mal fondée. Je crois que le plus pressé à présent est de tâcher d'avoir les cent louis nécessaires pour apaiser l'affaire de la lettre de change, attendu que, quoique vous ayez affaire à un fripon, vous n'avez rien pour le convaincre en justice. Je ne peux vous exprimer, Monsieur, combien je désire la fin de vos malheurs et que le sort soit plus équitable à votre égard. Votre avocat m'a promis de m'informer des démarches que je pourrai faire pour vous assurer la fin de votre affaire; je m'y prêterai, je vous assure, avec tout le zèle possible. Vous devez savoir mieux que personne ce que vous pouvez espérer. Consultez l'oracle; j'espère qu'il vous sera favorable. Mandez-moi ce que vous saurez; donnez-moi de vos nouvelles et soyez persuadé de l'intérêt bien sincère que je prends à tout ce qui vous regarde.
Du RUMAIN.